Création du matériel en cuir
- Estelle Prezza
- 13 avr. 2020
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 avr. 2020
Voilà une activité qui demande patience, réflexion et adaptation. Son avantage : créer des éléments sur-mesure. Qui plus est, d'avoir la satisfaction personnelle de faire les choses par soi-même.

NB : L’ensemble de cet article s’appuie sur ma petite expérience du travail du cuir et des quelques recherches associées sur le sujet lorsque j’ai débuté les premières années. Il s’agit donc ici de faire un état des lieux de ma méthode actuelle qui s’améliore à chaque nouvelle création.
Une réponse à un lien social avec son animal
Depuis quelques années je "m'amusais" à bricoler des petites pièces de cuir. C'est un matériau noble modulable et résistant. J'ai toujours beaucoup aimé cette matière douce et aux différents aspects. D'autant plus que le cuir est l'un des matériaux les plus utilisés dans le domaine de l'équitation, pour sa résistance, son adaptation, son esthétique mais aussi par sa capacité à ne pas blesser le cheval, "peau contre peau" (évidemment il convient de bien régler les harnachements, de les adapter au mieux à la morphologie de la monture pour ne pas engendrer de surpressions ou de frottements entraînant brûlures et plaies).
Ainsi, peu à peu j'ai commencé à réaliser des pièces de harnachement spécifiques à certains chevaux qui avaient une morphologie atypique ou à adapter des éléments qui leur permettraient d'être plus à l'aise monté, plus en phase avec leurs caractères. Ce sont des éléments sur-mesure, qui parfois montraient leurs efficacités ou au contraire se montraient inutiles voir inadaptés. Demander à un professionnel, c'est une bonne idée ! C’est une belle compétence, mais c'est aussi en payer le prix. Chose qu’on ne peut pas toujours se permettre. Cependant, réaliser soi-même son matériel c'est grandir avec de nouvelles expériences et compétences. Je pense que créer ses propres pièces d'harnachement, c'est confectionner de ses mains un lien supplémentaire qui lie le cheval et le cavalier, un lien qui répond aux besoins du couple. C'est être pleinement acteur du lien avec son animal et de tenter de mieux le comprendre.

Les besoins du projet
Comme vous avez pu le voir dans un précédent article sur le matériel, il y a tout de même pas mal de harnachements ! J'ai pu trouver la plupart d'occasion, réalisés par des artisans consciencieux des besoins de la randonnée. Ils créent du matériel de plusieurs tailles pour s'adapter au mieux aux différentes corpulences équines. Ils témoignent de plusieurs dizaines d'années d'expériences.

Mais voilà, il y a bien des éléments même d'occasion, que je ne trouvais pas ou qui ne me convenaient pas, tant sur la forme que le prix. Et il était hors de mes moyens de demander des réalisations artisanales sur-mesure. Je m'étais tout de même renseigné sur les tarifs du matériel identique mais en matière synthétique. Cependant les prix étaient proches du tarif de la matière première (cuir et quincaillerie) pour une résistance de moins longue durée. Puisque j'avais le temps devant moi, j'ai choisi de réaliser moi-même les sacoches avant, le boudin de selle et des pièces de l'embouchure d'Ulysse, appelée hackamore (embouchure sans mors dans la bouche du cheval mais avec un système de levier venant mettre une pression sur le nez du cheval). La réalisation demande le respect de plusieurs étapes... et surtout beaucoup de patience !

Coucher sur le papier la conception mentale
Etape essentielle : mettre à l'écrit ce qui se conceptualise dans la caboche ! Soit : faire un schéma avec cotations, déterminer les besoins matériels (boucleries, lanières, peau), la surface de cuir nécessaire, l'ordre chronologique des étapes de réalisation et d'assemblage, comparer sa conception à d'autres avis, revoir son point de vue pour enfin finaliser la conception du projet. Cette précieuse étape permet de prendre le temps d’évaluer toutes les conditions de réalisation pour laisser ensuite place à une mise en œuvre fluide.

Choix du cuir
J'ai pu trouver un fournisseur de cuir sur le net et un autre pour la quincaillerie.
Vient alors le choix du cuir et qui est régi par les besoins :
- de solidité : déterminée par l'épaisseur, la taille, la nature du cuir et le tannage (végétal ou au chrome, c'est un procédé qui consiste à rendre la peau imputrescible et résistante grâce aux éléments chimiques : tanins végétaux ou tanins minéraux).
- de l'esthétique : grain du cuir (touché lisse ou grainé) et la couleur.
En fonction des stocks du fournisseur, j'ai choisi du cuir de vachette relativement souple de 2mm au tannage végétal. Au total, pour la conception des sacoches et du boudin j'ai dû utiliser en moyenne 3m² de cuir (provenant de différentes peaux). J'ai choisi des cuirs lisses bicolores : une partie fauve et l'autre vert foncé.
La découpe
La première étape consiste à découper des patrons en carton des différentes parties de l'objet convoité. Ensuite il suffit de les disposer sur la peau de manière à optimiser au maximum la surface. On peut alors tracer à même le cuir et découper ! De mon côté j'utilise simplement un cutter. Ensuite j’abats les carres avec un abat-carre. Cela permet d'avoir des bordures biseautées, moins saillantes pour l’animal, agréables à manipuler et plus esthétiques.

L'assemblage
C'est ici que la toute première étape de réflexion sur l'ordre chronologique de l'assemblage prend tout son sens ! On prendra donc le temps de respecter l'ordre d'assemblage pour garder accessible la couture. L'étape consiste déjà à créer le sillon avec une gouge qui accueillera la couture. Il permet d'insérer la couture de manière à ce qu'elle soit au même niveau que le cuir. Ceci pour protéger le fil des frottements et donc d'une dégradation prématurée.
Il existe plusieurs techniques d'assemblage :
- la méthode avec une pince-sellier qui consiste à pincer les deux morceaux de cuir à assembler pour les coudre ensemble. L'emplacement des trous doit être préalablement marqué dans le sillon grâce à une roulette à marquer. Les morceaux de cuir sont ensuite maintenus dans la pince et on perce avec une alène. Enfin on réalise la couture qui permet de solidariser les deux morceaux. C'est une méthode artisanale qui demande un certain savoir-faire à mon sens !
- la deuxième méthode consiste à assembler les morceaux de cuir à l'aide d'une colle néoprène, de manière à fixer l'ensemble tandis que l'on vient percer les trous dans le sillon à l'aide d'une griffe à frapper (et d'un marteau... sans vouloir enfoncer le clou !). Il ne reste plus qu'à coudre.

C'est la méthode que j'utilise car j'aime avoir une vue d'ensemble avant de coudre. La griffe à frapper me permet de réaliser de beaux trous uniformes et à équidistance. Sur le plan temporel, je crois que les deux méthodes se valent, l'une ne va pas plus vite que l'autre...! C'est le savoir-faire qui doit changer la donne.

La couture
Au niveau de la couture, on utilise des aiguilles spécifiques au cuir. Il existe deux types de fil : le lin poissé ou le polyester poissé. Le lin étant une fibre végétale, elle aura tendance à casser sous haute tension. Le polyester lui, aura beaucoup moins de chances de céder, mais à tel point que c'est le cuir qui risque de se couper ! Chacun a ses avantages et inconvénients. Pour ma part j'ai choisi le polyester.
Pourquoi du fil poissé ?
Pour la couture du cuir, on utilise exclusivement du fil passé à la poix. Brute, la poix est un liquide obtenu par distillation de résines végétales telles que celle du pin. Elle était utilisée dès l’Égypte ancienne pour embaumer les corps et utilisée dans les feux grégeois au moyen âge car très inflammable. Aujourd'hui elle est coupée avec de la cire et d'autres huiles pour la rendre solide et y passer son fil dans le pain de poix. Poissé, le fil devient plus résistant à l’eau et à l’abrasion. Cela lui confère une couche de protection qui garantit sa durée de vie. Cela lui donne une autre qualité : du collant (oui oui ! Quand on a la poisse, ça nous colle un p'tit bout de temps !). Ainsi, on peut serrer le fil, il ne se détendra pas ou peu. Et si un point de couture casse, il ne glisse pas et tient jusqu’à sa réparation.

Il existe deux techniques principales de couture du cuir : le point sellier et le point machine. La première nécessite deux aiguilles, la deuxième une seule aiguille de machine à coudre montée sur un manche. Encore une fois les deux techniques se valent, tant sur le temps de réalisation que la solidité. De mon côté j'ai choisi le point machine, je trouve qu'il se "serre" mieux et qu'il se détend moins au fur-et-à-mesure de la couture. Ce qui permet d'avoir une couture homogène.

La finalisation
Il reste une étape : le graissage du cuir qui permettra de lui garantir sa souplesse et un peu d'imperméabilité. On le nourrit ! Mais pas trop... il faut rester raisonnable avec le gras, dit-on ! Et le sait-on aussi, les graisses végétales sont meilleures pour la santé... pour le cuir aussi. On ne nourrit pas un herbivore avec de la protéine animale, voyons ! Le cuir sera alors protégé des agressions extérieures, pluies, griffures, soleil, et gardera la forme ! Pour rendre un cuir souple, on le nourrit, on en prend soin et on y met de l'amour ! N’est-ce pas une réalité commune au domaine des vivants…?

ET LA : Mon dieu qu'on est heureux ! C'est fini ! Il a fallu 50 heures en moyenne pour la réalisation des sacoches et du boudin. Des heures méditatives dont on sort satisfait du résultat. La plus grande satisfaction arrivera à l'usage j’espère... à suivre !
Pour vous !
Si cet article vous a donné envie d'appréhender davantage le travail du cuir, je vous propose de créer vous-même une bourse en cuir ! C’est très simple ! Voici les éléments nécessaires :
- morceau de cuir de 15 cm de diamètre
- lacet de 50 cm - diamètre 2 mm
- fermoir stop-lacet ou une perle dont le diamètre du trou est de 2 mm
- emporte-pièce de 2 mm

Posez vos questions en commentaires !
A bientôt
Estelle
Merci beaucoup Sandy !
Bravo ! Beau travail, pour avoir moi-même déjà travaillé du cuir de manière anecdotique, je sais que c'est compliqué, donc bravo !
Merci beaucoup Dominique !! A bientôt !
Bravo! Félicitations! Avec les photos c'est encore mieux! Tu peux être fière de toi. Bizz Dom