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La traversée des hauts plateaux du Vercors jusqu’aux Labyrinthes Gourmands, à Saint Baldoph

  • Photo du rédacteur: Estelle Prezza
    Estelle Prezza
  • 17 juil. 2020
  • 18 min de lecture

Dernière mise à jour : 26 août 2020

Le dimanche 21 Juin, c’est le grand départ d’une rando que j’attends depuis plusieurs semaines. Nous devons rejoindre Saint Baldoph, à l’Est de Chambéry par le Vercors, traverser l’Isère et l’A48 qui mène à Grenoble puis passer à travers la Chartreuse. On va en prendre plein la vue, être en pleine nature.

De Boulc aux Nonières


Ce matin je me lève difficilement, j’ai un peu tardé à me coucher ces derniers jours. La veille j’ai dit au revoir à Boris qui habite dans le même village. Le vendredi soir nous sommes allés au bal accompagnés de son woofeur. Une première pour moi ! C’était beau, il n’y a pas d’autre mot. Ces gens qui dansent sur le parquet, la musique et quelques observateurs (contemplateurs) autour. Pas de discussions autour du parquet pendant les danses, juste le son des pas, des corps en mouvements, des jupes qui volent et des instruments. Ce soir- là, Boris m’offre l’un de ses chapeaux. Il souhaite me remercier pour Isope qui va être vendu et rester étalon, la belle vie pour lui ! J’arrive à peine à accepter son geste. Mon premier chapeau. Offert par Boris. Ça m’émeut encore quand j’écris ces mots. Sa bienveillance va m’accompagner tout au long de mon voyage.


La veille de mon départ j’ai loupé Luc et Flo entre le dernier service de l’auberge et l’heure à laquelle ils se couchent. Ce matin je retire la clôture d’Ulysse et je vais les voir vers 8h, lorsqu’ils servent le petit déjeuner à l’auberge. Face à Flo, je fonds en larmes. Ça me surprend moi-même ! Elle a tant été présente pour moi au cours de ces 3 semaines que partir m’attriste. J’ai beaucoup de mal à quitter les gens que j’aime. En plus, je sens comme une forme de culpabilité de partir comme ça, un peu rapidement, et de dire au revoir pendant ses heures de travail. Avec Luc une bonne accolade et le plaisir de notre rencontre remplie de joie et de rires ne me fera pas craquer ! Mon dieu comme j’ai grandi en 3 semaines ici. Je pars sûre de moi comme je ne l’ai jamais été auparavant. Je n’en reviens pas de l’énergie qui émane de ce lieu avec Luc et Flo qui sont des acharnés ! Ici on est bien, on se ressource au contact du paysage et on prend le temps d’ancrer ses choix. Enfin c’est mon ressenti.

Il est temps de partir. Pour cette matinée Francky, sa chienne Céfia et Benoit, le woofeur, m’accompagnent jusqu’au tunnel de Boulc. Nous reprenons le sentier muletier qui mène à Soubreroche que j’avais emprunté avec Ulysse pour venir à La Salamandre. Je suis ravie de pouvoir partager ce chemin avec eux car je le trouve vraiment chouette, il offre une superbe vue et se montre légèrement vertigineux. Ulysse prend toujours le temps de s’arrêter pour admirer la vue. Ce qui donne le sourire à nos accompagnateurs ! On observe un étrange nuage dans le ciel, de forme ovale et verticale, d’une rondeur et d’une douceur surprenante. Une fois le hameau passé nous prenons le temps d’admirer un vautour fauve qui vole relativement proche de nous. Nous continuons notre route pour redescendre en direction du tunnel. Ulysse est au taquet ! Il marche devant nous d’un pas guerrier. Benoit trouve très agréable la présence d’Ulysse. Francky cela ne lui donne que davantage envie de réaliser un vieux projet de voyage à cheval qui était tombé aux oubliettes. Si je lui trouve un cheval il semblerait partant pour faire un bout de route avec moi ! Ça m’amuse beaucoup, mais ça me ferait plaisir de partager mon voyage avec lui, il y a quelque chose d’inspirant dans cet homme. J’espère que fin août un cheval se présentera pour lui.


Nous arrivons au bas du sentier, et après de chaleureuses accolades je m’en vais sur le dos d’Ulysse pour passer le petit tunnel. Ulysse m’impressionne, il n’a jamais aussi bien marché. Je le sens heureux et il me donne une puissance intérieure incroyable. Je suis si fière de nous. Nous nous arrêtons sur une esplanade pour le repas. Nous repartons après une bonne heure trente de pause. Cette après-midi nous devons atteindre les Nonières. Nous empruntons une piste forestière. Ulysse est toujours présent, les deux oreilles en avant. Dans ma tête je me demande pourquoi on s’autorise plus facilement à détacher la laisse d’un chien et pas la longe d’un cheval. Je détache alors Ulysse. Et nous marchons ainsi pendant deux heures. Même si Ulysse s’arrête parfois pour brouter quelques brindilles, il reprend le pas rapidement. Nous marchons côte à côte, heureux de notre nouvelle direction. Je suis si bien avec lui, dans le silence des sentiers, dans le chant des oiseaux, le vent dans les branches, la chaleur des cailloux et les chants des grillons.


Je sais qu’il y a une chèvrerie bio aux Nonières et je projette de leur demander un coin pour la nuit. Nous sortons du sentier qui donne pile sur la chèvrerie. Je leur achète un peu de fromage et fais ma demande. Ils ne peuvent pas accueillir Ulysse car leurs foins ne sont pas encore faits mais ils me redirigent vers l’hôtel du coin qui a un espace camping sauvage au bout du village au bord de la rivière. Nous sommes chaleureusement accueillis à l’hôtel restaurant Le Mont Barral, où l’on nous met à disposition ce parfait petit spot pour la nuit. Je monte le campement puis projette de manger au restaurant après cette belle journée (on ne se refuse rien). Une femme s’arrête en quad devant Ulysse en l’admirant tandis que je me lave les mains dans la rivière. Elle m’interpelle pour me demander sa race, son âge.. etc. Elle aussi a des chevaux plus bas, au village. Elle me propose de me redescendre au resto en quad, génial ! Un tour de quad gratuit !


Je déguste un super repas local avec une salade de caillettes du coin, un gratin de ravioles (oui oui, gourmand croquant) et un gâteau à la noix (vraiment, c’est pas une blague !). Le gérant échange avec moi. Il doit avoir entre 25 et 30 ans. Il aime son métier. Son grand père tenait à l’époque l’établissement et il est à l’origine de ce gâteau. Avec le temps les recettes ont évolué mais le fond reste le même : du local et bio si possible, le tout avec de l’humanité. En tout cas, c’est délicieux !!


Je remonte au camp vers 21h. Après 20 minutes de marche, je me rends compte que j’ai laissé mes cartes au resto ! Andouille ! J’appelle, et le gérant me les met de côté. Il me propose même de me les monter. Il me confie que si je n’avais pas appelé, il me les aurait montées. Quel homme rempli de gentillesse ! Je les récupérerai au petit matin. Quand j’arrive au camp, Ulysse est un peu inquiet, il n’a pas apprécié que je le laisse seul. Je m’endors tranquillement et bien heureuse. Demain nous montons sur le plateau du Vercors.


Du Vallon de Combeau à la cabane de Chaumailloux


Ce matin je me rends compte qu’Ulysse n’a pas pu manger grand-chose car la parcelle est jonchée de refus des chèvres qui sont passées par là. Je le mets à brouter où l’herbe est foisonnante près du ruisseau de Sareymond (celui-là même qui comporte les deux belles cascades du Sapet). Nous ferons une pause gouleyante ce midi. Je récupère les cartes à l’hôtel et nous nous mettons en route. Ulysse est un peu dissipé ce matin. Je choisis de rester sur la route pour éviter un sentier à fort dénivelé. Après quelques kilomètres je comprends pourquoi Ulysse était casse-pieds plus tôt : j’ai égaré mon pull plus bas. Nous sommes déjà à plus d’une heure de marche de cet endroit où il s’est montré agacé. J’espère que mon vêtement fera un heureux au détour d’un sentier … petit rappel à l’ordre pour moi : il faut vraiment que je fasse attention à mes affaires. Mais aussi que je peux faire confiance à Ulysse pour la responsabilité du matos ! Sacré poney. La route donne une vue magnifique sur le rocher de Combeau et la Côte chèvre. Comme un paysage de canyon américain. Nous nous arrêterons plus loin pour la pause du midi avec beaucouuup d’herbe pour Ulysse et l’eau du ruisseau de Combeau.


L’après -midi nous montons sur le plateau par la Cabane de l’Essaure. Je suis ravie de l’itinéraire qui ne nous fait pas grimper de forts dénivelés. Vers 15h je sens qu’Ulysse fatigue. Je prends la décision d’atteindre la cabane de Chaumailloux pour la nuit. Il y a au moins 3 sources d’eau là-bas. Ulysse se désaltère en arrivant et nous observons un troupeau de chevaux au loin. Je comprends face à la clôture qu’ils pâturent autour du refuge. Nous entrons tout de même pendant que les chevaux sont plus bas. Deux autres randonneurs sont là pour la nuit. Je monte rapidement la clôture en mettant 2 fils pour protéger Ulysse d’une éventuelle intrusion de ses congénères. Le troupeau monte nous voir vers 20h. Je ne regrette pas d’avoir pris le temps de mettre 2 fils : il y a des poneys et beaucoup de poulains ! Une trentaine d’équidés au total ! La jument la plus âgée vient déjà voir et reste apaisée. Le reste du troupeau vient dire bonjour à Ulysse. L’un d’entre eux s’entend super bien avec Ulysse. Tout se passe bien et le troupeau respecte la clôture. Je suis soulagée. Mais il n’y a encore pas grand-chose à manger pour Ulysse …


Deux autres randonneurs arrivent pour dormir au refuge. Nous passons le repas tous ensemble et nous constatons que nos routes vont peut-être se croiser à nouveau dans quelques jours. La vue est magnifique depuis le refuge : le Mont Aiguille planté au milieu du ciel et la bordure du grand Veymont à l’Ouest. On observe le passage d’un renard par la fenêtre de la cabane, il passe à 2 mètres d’Ulysse. C’est à peine si celui-ci lève une oreille… La nuit sera courte entre ceux qui ronflent et les poulains qui se grattent les fesses sur la cabane au lever du jour (5h).



Le GR 91 : de la tête du Pison jusqu’à la plaine de la Chau


Ce matin je selle Ulysse tandis que le troupeau sieste autour de la cabane. Je salue les colocs d’une nuit qui reprennent leur route. Quand il ne me reste plus qu’à retirer la clôture, le troupeau redescend plus bas dans la pâture : parfait ! Nous sommes tranquilles. Je mets Ulysse à brouter un peu plus haut, même si il n’y a pas grand-chose. A 9h nous partons enfin. J’ai pris mon temps ce matin ! Je n’avais pourtant pas de tente à démonter et j’ai mis 3h à nous préparer. Mais j’accepte, il fait beau et j’ai pris le temps de faire une toilette de lavabo ce matin dans l’eau. J’y ai d’ailleurs découvert un premier vestige du Corona : un joli petit masque coincé dans le ruissellement de l’une des sources…


Nous voilà en route. Vers 10h nous faisons une pause casse-croûte pour Ulysse dans une herbe bien grasse ! Un couple de randonneurs s’arrête pour discuter avec moi, intéressé par notre voyage ! Ils sont remplis de sourires et m’indiquent le prochain point d’eau que j’avais vu sur la carte. Une jolie petite pause.


Nous avançons jusqu’à midi au Pré Peyret où Ulysse peut boire. L’herbe est encore bien riche ce midi. Je fais le choix de nous accorder deux heures de pause dans ces jolies prairies. Nous repartons vers 14h30. Nous voilà à contempler la nature des Hauts plateaux du Vercors. Les paysages sont magnifiques. Nous sommes si bien ici. Le sentier montre quelques pierres mais il reste globalement moelleux pour Ulysse. Je sens qu’il est plutôt fatigué aujourd’hui, en tout cas j’ai la sensation qu’il est moins à l’aise dans les cailloux. J’espère arriver vers 17h à la plaine de la Chau, pour que cette journée ne soit pas trop longue pour Ulysse. Là-bas une grosse fontaine nous attend. Nous profitons toute la journée des magnifiques paysages, et par instant, des silences apaisants lorsque le vent et le chant des oiseaux s’arrêtent.


Vers 16h nous traversons une zone plus boisée. Plus renfermée. Une odeur désagréable est présente. On m’avait prévenu la veille que la plaine vers laquelle nous nous dirigeons recèle plusieurs cas d’attaque du loup. Ulysse n’a plus envie d’avancer. Mais je ne veux pas rester dans cet endroit qui sent la mort. Nous arrivons enfin vers 17h30 à la fontaine de la Chau. La plaine est dominée par le Grand Veymont, culminant à 2341 m d’altitude, c’est le point le plus haut du Vercors. Il est massif, imposant et impressionnant par ses colonnes coniques qui l’entourent. Ulysse semble avoir mal au dos au vu de sa manière de se déplacer dans les empierrements. Je le desselle et découvre qu’il est gonflé et qu’il a une petite plaie vers le bas du dos. Il a clairement mal, car quand je touche il fouette de la queue et tape du postérieur dans ma direction. Je lui masse avec l’étrille, le douche au seau d’eau, lui met de la crème cicatrisante et lui masse la zone avec de l’arnica.

Je réalise que j’aurais dû le dessellé à midi quand il m’a montré des premiers signes de fatigue. Heureusement, j’ai marché avec lui toute la journée et j’avais chargé le matériel sur la selle et non pas à l’arrière, ce qui a dû limiter le poids sur les reins. Tout s’accélère dans ma tête, mon cheval est blessé, nous sommes en plein milieu du plateau, et je n’ai pas de réseau. Mon frère m’a envoyé un message dans la journée pour connaître ma position, il souhaiterait me rejoindre en moto. Je réalise que personne ne connaît mon itinéraire dans les détails. J’ai simplement dit à mes proches l’itinéraire global: traversée du Vercors, passage de Grenoble par Saint-Egrève, puis Chartreuse. Pas très sécu tout ça ! Je suis fatiguée, nous avons parcouru plus de 80 km en 3 jours et on n’a pas très bien dormi la nuit dernière. Mon cheval est blessé et nous sommes dans un environnement peu favorable pour notre sécurité.

J’emmène Ulysse broûter plus loin. Je craque. Je suis seule avec moi-même, et personne à qui me raccrocher pour partager mes craintes. Je ne peux qu’ y faire face seule. C’est ce que je suis venue chercher, et je me suis bien installée dans ces conditions. Il faut que je trouve une solution. Il faut stopper le voyage au plus vite pour que la plaie d’Ulysse ne s’agrandisse pas davantage. La peau au niveau du dos est fine et elle met du temps pour se reconstruire.


J’aimerais prévenir mon frère que tout va bien et de la destination où nous pourrons nous rejoindre le lendemain. Il faudrait que des randonneurs passent par ici, que je leur emprunte leur téléphone, mais il est déjà 19h ! Une minute se passe avant que j’aperçoive deux adolescentes qui arrivent au loin. Il suffisait de demander ? Elles me prêtent avec gentillesse leur téléphone, et m’incitent à venir les voir à leur tente plus loin si j’ai besoin de quoi que ce soit. Des crèmes ces nanas !


Il faut que j’organise la journée de demain pour retrouver du calme dans ma tête : demain nous redescendrons du Vercors. Nous atteindrons Corrençon-en-Vercors, le premier village. Je chercherai un pré pour 2 nuits pour Ulysse. Cela me laissera le temps de m’organiser, qu’Ulysse soit en sécurité et sous l’œil de quelques personnes le temps de récupérer le camion et le van afin de rapatrier Ulysse dans la ferme suivante.


Je m’endors rapidement. Dans la nuit je suis réveillée par les pas rapides d’Ulysse. J’entends les chiens des bergers au loin qui aboient. Je sens Ulysse inquiet à sa respiration. J’écoute. J’entends un caillou qui roule plus haut et le craquement de quelques branches au sol comme si un animal passait dans le sous-bois. Je parle à Ulysse. Les chiens au loin renchérissent d’aboiements. Je commence à me dire qu’un loup rôde. On m’avait prévenu hier au refuge mais aussi ce matin au détour de paroles de randonneurs. On m’avait dit « et tu fais comment avec les animaux sauvages ? Enfin les loups ? » J’avais répondu : on verra bien comment je fais. Car concrètement, j’ai lu des bouquins, mais comment on fait sur le terrain, ça je n’ai pas d’expérience ! Et puis je n’avais pas envie de mentaliser une probable attaque. A part se faire peur, ça ne mène pas à grand-chose. Mais bon là, je commence à baliser. Je réfléchis, je me dis qu’un loup seul n’attaquerait pas un cheval. Je prépare ma bombe au poivre, la seule action qu’on puisse réellement réaliser en cas d’attaque. J’essaie ensuite de calmer Ulysse à la voix, je le sens qui se tient proche de la tente. Moi ensuite, je respire et me tiens prête à agir au besoin. Mais je reste dans ma tente dans un demi sommeil, réveillée au son des pas d’Ulysse, aux aboiements des chiens au loin. Vers 5h j’entends une clochette qui sonne, je me dis que le loup a chopé une brebis et qu’il est entrain de la traîner. Nan mais ça va loin tout de même tous ces films qu’on est capable de se faire dans une tente ! Aujourd’hui quand j’écris ces mots, je me dis que c’était simplement un chien qui vérifiait le périmètre. Bref, je dors une petite heure et je me lève pour lever le camp. Encore une nuit pas très reposante…


Corrençon-en-Vercors : notre point de chute


Ce matin je réalise tous les soins à Ulysse pour son dos : massage, arnica, pommade, douche, puis pommade. C’est dégonflé et au moment de seller il est beaucoup moins sensible. Il se laisse seller, je crois qu’il a compris qu’il était plus sage d’avancer encore une journée. Ici nous ne sommes pas en sécurité, il n’y a pas assez d’herbe et ce n’est pas accessible en camion ! A 9h nous prenons la suite du GR91. Je prends le boudin de selle en sac à dos sur mes épaules. Ça fait toujours 7 kg en moins sur son dos. Nous passons la Jasse du Play, contournons la tête de Cognaux par un sentier moelleux qui convient à Ulysse. Bien qu’il ait mal au dos, il marche d’un bon pas et nous avalons les kilomètres. Nous faisons une pause de 20min à 10h après un passage difficile dans les enrochements. Ulysse m’impressionne, il a beau avoir mal, il a gagné en dextérité. Je ne l’entends plus trébucher, ralentir, accélérer. Non, maintenant dans les passages compliqués, son pas est continu et précis. Je suis fière de lui ! Vers 11h nous nous rapprochons du Canyon des Erges. Le sentier traverse de gros lapiaz pas toujours simples à franchir pour Ulysse. Voilà qu’il s’arrête net. Je ne comprends pas, je lui demande 5 fois d’avancer et il reste planté. Jusqu’au moment où je regarde ses pieds : il lui manque une hipposandale ! Je m’excuse auprès de lui, l’attache et je pars en quête de la chaussure ! Ouf elle n’était qu’à 5 mètres. Je lui enfile et le remercie : mais quelle chance d’avoir un tel cheval ! Ces petites perles ont un prix… et j’avoue qu’elles sont très utiles pour Ulysse après plusieurs jours de marche quand il a la corne usée et le pied plus sensible. J’en suis d’ailleurs ravie car elles sont très solides.


Nous reprenons notre chemin, jusqu’à l’entrée du canyon. Il est 11h et je laisse Ulysse prendre une bonne pause de 20min. Le matin un groupe de randonneurs fort sympathiques m’a prévenue que le sentier comportait beaucoup de cailloux. Je souhaite que l’on passe cette étape avant la pause déjeuner. La fin de la rando sera plus simple ensuite. Je contemple une dernière fois le Grand Veymont au loin. Mais aussi mon chapeau. Je pense à Boris, j’aimerais lui dire combien j’en suis ravie ! Moi qui ne portais jamais de couvre-chef jusqu’à présent à cause de ma chevelure débordante, j’avoue que je suis conquise. J’y ai même glissé une petite plume trouvée les premiers jours.


Nous nous élançons dans le Canyon. Le sentier est souple avec quelques passages scabreux qu’Ulysse s’applique à passer. Il souffre du dos car je vois qu’il soulage à nouveau son antérieur gauche en descente. Mais il s’applique tout de même et reste motivé. Nous croisons quelques randonneurs qui permettent à Ulysse de faire des pauses tandis que j’explique notre route ou indique les prochains points d’eau. Enfin nous sortons du Canyon. Mais nous devons marcher encore une bonne demie-heure avant de trouver une clairière pour Ulysse.

Pour la pause, je desselle Ulysse et fait sécher ma tente de la rosée du matin. Sa plaie se contient, et il n’a pas gonflé. Je suis contente. Je lui ai remis à deux reprises de la pommade pendant la matinée en glissant ma main sous le tapis. Je mange tranquillement. A la fin de mon repas voilà que les deux acolytes de notre nuit en refuge se présentent ! Je suis ravie de les revoir ! Eux ne font pas vraiment de pause le midi, mais me disent qu’on va sûrement les rattraper. J’espère, j’ai envie de marcher avec eux.


Lorsque nous devons repartir, Ulysse reste endormi dans sa sieste ! Un randonneur m’indique le puits de Darbounouse comme point d’eau pour Ulysse. La fontaine des Carrettes que j’avais envisagée ne livre qu’un mince ruissellement d’eau sur la roche récoltable avec une tasse. Il continue sa route tandis que nous le suivons de loin. Nous arrivons à Darbounouse, une vaste prairie creusée avec le puits au milieu du creux et le GR plus haut à l’est. Je vois notre indic’ plus haut qui rattrape Nico et Lucas plus loin, les deux acolytes du refuge du Chaumailloux. Avec Ulysse nous traçons tout droit au centre de la prairie. Il reprend un élan de joie de marcher dans de l’herbe moelleuse. Il secoue la tête, fait quelques foulées de trot. Notre indic’ (oui oui j’ai oublié son prénom !) plus loin a dû sentir notre présence (pourtant à plus de 100m) et s’arrête pour nous montrer du doigt le puits. Je lui réponds avec un pouce en l’air. Il reprend son pas puis s’arrête et descend nous rejoindre. Il voulait revoir l’état du puits, il est passé il y a 3 jours. Un grand bac permet à Ulysse de s’abreuver convenablement et de nous faire sourire par son envie de jouer avec l’eau. Nous reprenons le GR tous les 3 et marchons plus de 2h ensemble. Lui est pompier dans le corps militaire à Paris. Il est venu traverser le Vercors pour découvrir les paysages d’été. Soit faire l’aller-retour en 6 jours. Rien que ça ! Nous discutons tranquillement et Ulysse marche d’un bon pas. Ça nous fait du bien d’être avec quelqu’un d’autre, comme si ça nous allégeait d’une responsabilité. Lorsque l’on arrive à la cabane des Carettes notre ami reste ici pour la nuit. Mais nous retrouvons Lucas et Nico ! Je vais enfin pouvoir marcher avec eux ! Et même si la cabane des Carettes dispose d’une grande prairie pour Ulysse, je sens qu’il nous faut descendre en ville.


Nous nous mettons tous les 4 en route, pouvant discuter d’autres sujets que les présentations. Je propose à Nico de prendre Ulysse, il est ravi ! Il souhaite réaliser une rando avec sa compagne avec des ânes et/ou chevaux. Lui qui était un peu méfiant de ces animaux, il prend docilement confiance avec Ulysse. Toute son attention se dirige sur le cheval, il apprend à lire son comportement, ses réaction, sa manière de marcher. Une fois de plus Ulysse est le magicien des sourires. De notre côté nous discutons beaucoup avec Lucas. Lors de notre soirée au Chaumailloux nous n’avions pas pu beaucoup échanger, mais je sentais que l’opportunité se présenterait plus tard. Lucas a quitté son travail et se prend 2 ans et demi pour randonner et trouver sa voie. Ses yeux sont remplis de contemplation, il recherche son silence intérieur. Nous sommes sur la même longueur d’ondes. Nous nous rapprochons de Corrençon, même si le balisage ne nous indique jamais la même distance, cela nous amuse beaucoup. Lucas demande à Nico s’il peut avoir un peu Ulysse. Je me sens bien avec eux, malgré la fatigue, nous décrochons nos masques et laissons nos âmes d’enfants s’exprimer. (Ou peut-être simplement que les nerfs lâchent)

Nous arrivons enfin vers un bout de civilisation au golf de Corrençon entouré d’un stade de biathlon. Le panneau « attention priorité aux ski-roues » nous amuse beaucoup. Le contraste est fort entre la nature libre du plateau et les premières règles de société. Mais nous ne nous laissons pas tant heurter, et restons sur notre énergie paisible. Nous nous arrêtons sur le parking du golf pour offrir la boisson à Ulysse. Nico commence à quémander une pause bière à Lucas, qui refuse strictement. Nico détourne en demandant une gaufre, Lucas se laisse alors tenter mais à condition que cela soit au village. Le cœur de ces deux amis m’amuse beaucoup ! Sur le parking, un golfeur nous propose gentiment de prendre une bière avec eux, ils installent l’apéro. Nico a les yeux qui brillent dans une lueur d’espoir, mais il se résigne vite. Il est déjà 18h, nous nous devons de refuser car nous devons atteindre la ville avant 19h. Les garçons veulent faire des courses et moi je dois trouver un hébergement ! Nico me fait noter que le capital sympathie d’Ulysse permet d’obtenir des bières.


Nous arrivons au village une demi-heure plus tard. Nous demandons le centre à une dame qui nous incite à faire demi-tour, c’est un peu plus haut. Mais elle prévient qu’à cette saison, tout est fermé. Ici c’est un village d’hiver ! Nous faisons 20 mètres et une femme qui sort de sa voiture me sourit. Elle me demande si on cherche un lieu de bivouac. Je lui explique qu’Ulysse est blessé et que j’aurais besoin d’un pré pour deux jours. En 5 minutes, en s’adressant aux voisines âgées, elle me dégote une parcelle ombragée et bien herbeuse. Les propriétaires ne sont pas là, mais arriveront quelques minutes plus tard, et m’autorisent avec plaisir à laisser Ulysse et aussi à camper sur leur terrain. Quelle joie !


Lucas et Nico repartent et moi je suis affairée avec Cristelle, ma nouvelle connaissance. Je leur dis au revoir rapidement en espérant les retrouver au bar plus haut. Mais après avoir dessellé Ulysse, je ne les retrouve pas dans le village… je suis triste de ne pas avoir pu leur dire au revoir. J’aurais aimé les remercier. Peut-être je recroiserai Lucas qui lui continue sa route après Grenoble ?

Je monte ma clôture, mon camp, prends une douche chez Cristelle. UNE BONNE DOUCHE. Je revis ! Nous prendrons le temps le lendemain pour nous présenter et m’organiser. Je me rends compte que j’ai perdu la plume de mon chapeau. Un coup de massue symbolique pour moi qui ai l’impression que nous venons de perdre nos ailes avec Ulysse. Ce soir j’appelle ma mère, mon frère et Rémi. Et surtout je me repose.


Destination finale


Mon frère me rejoint le lendemain et Rémi en fin d’après-midi. Nous bivouaquons à 1 km d’Ulysse tous ensemble. Je prends du temps pour me détendre et me reposer. Cela fait 6 mois que je n’ai pas revu mon frère. C’est plutôt drôle de se retrouver ainsi, lui en vadrouille-bivouac en moto et moi avec mon cheval. Si on nous avait dit ça il y a 6 mois, je ne pense pas que nous aurions bien voulu l’entendre !


Le samedi nous quittons mon frère après une belle soirée (bien arrosée) et Remi m’emmène à la ferme des Volonteux pour récupérer mon camion et mon van (oui c’est un homme fantastique). Un petit coucou rapide à toutes ces petites têtes que je porte dans mon cœur, et me voilà en route pour aller chercher Ulysse. Anne-Catherine, chez qui je me rends vers Chambéry, a accepté que je vienne plus tôt et m’a confié que ça l’arrangeait. Nickel, tout s’aligne !

C’est parti pour la route des gorges de la Bourne avec le van à vide puis les lacets après Saint-Nizier-du-Moucherotte avec Ulysse dans le van. Encore des épreuves ! Nous arrivons à bon port : les labyrinthes gourmands à Saint-Baldoph. Anne-Catherine est absente et nous laisse son terrain pour passer le week-end avec Rémi en amoureux. Je redécouvre le confort de dormir dans un grand lit.



J’ai accumulé énormément de fatigue. Je me rends compte que voyager seule avec un cheval me demande d’avoir une capacité énorme de gestion des émotions. Qu’un ratio 3 jours de rando – 1 jour de repos nous conviendrait mieux à Ulysse et moi. Que 30 km par jour, c’est énorme pour une longue rando, que 20 km conviendraient mieux à Ulysse. Qu’il faut peut-être que j’envisage d’avoir un deuxième cheval pour pouvoir monter Ulysse.

On se cale petit à petit sur la gestion de l’effort, un tact qui fait que l’on est femme/homme de cheval à mon sens. Je sens qu’il va nous falloir du temps à Ulysse et moi avant de reprendre les sentiers, que la forme du voyage va évoluer.

A bientôt

Estelle et Ulysse



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