Le premier pas dans l’aventure
- Estelle Prezza
- 30 avr. 2020
- 11 min de lecture
Avant de partir, il me semble primordial de vous raconter le premier chapitre de ce projet.

Fin Août 2019, la décision est prise : je termine mon contrat à la ferme des Volonteux fin octobre, je ne passerai pas l’hiver dans la Drôme. Dure décision pour moi, car j’aime énormément la dynamique de cette ferme, les personnes qui la composent et toute l’énergie qui en émane. C’est là-bas que j’ai réalisé ma première expérience professionnelle : une expérience inoubliable, chargée de souvenirs et d’humanité. Même si je m’y sentais si bien, ma soif d’apprentissages commençait à déborder. Il fallait que l’oiseau s’envole du nid. Oui « du nid », car c’est à la ferme des Volonteux que l’on m’a formée au maraîchage bio en circuit court, mais aussi aux multiples activités annexes d’une ferme (faire des gâteaux pour les collègues, gérer la tireuse à bière lors de la soirée annuelle…etc), et surtout à la vie collective, à cette volonté de faire évoluer les personnes, les modèles et les habitudes vers plus d’autonomie, de durabilité et de bienveillance. Oui « du nid », car c’est toute une famille remplie d’amour les Volonteux! J’étais bien au chaud dans cette situation socio-professionnelle. Mais voilà que je me sens pousser des ailes! Il faut que je passe au-delà de la colline qui borde la ferme ! Que je vois plus loin, plus de choses, que je goûte, découvre, et m’émerveille des autres créations agricoles durables. La décision est prise, avec le cœur qui tiraille de quitter les personnes que j’aime.

Il me faut suivre un plan pour garder le cap. « Bon, ok, aller voir autre chose, d’autres savoir-faire. Mais quand ? Pendant combien de temps ? Comment ? Où ?! La belle saison est plus favorable aux travaux extérieurs. Ok : un départ au printemps 2020 avec 5 à 6 mois de préparation. 6 mois de projet me semblent être le minimum et 9 mois le maximum envisageable (tant moralement que financièrement). Comment ? A cheval pardi ! Cette opportunité est une aubaine pour moi : l’occasion de reprendre contact avec un animal qui a fait partie de ma vie pendant 20 ans mais que j’ai délaissé lors de mon activité professionnelle qui me demandait beaucoup d’énergie. Ça me manque pourtant tellement ce lien avec le cheval… Voilà de quoi rattraper le temps perdu ! Une itinérance à cheval ! J’ai des étoiles dans les yeux simplement d’imaginer le scénario. La montagne m’appelant beaucoup ces 6 derniers mois, cela sera ma destination. »
Je venais de me créer l’opportunité de vivre un rêve. Mais pour le réaliser, il me fallait trouver un compagnon de route. On est fin Août 2019, je n’ai pas encore regardé la moindre annonce de chevaux à vendre, le projet commence seulement à faire surface. Cependant à la ferme des Volonteux, j’apprends que l’une des salariés en arboriculture avait une entreprise de randonnée à cheval il y a quelques temps. La belle Charlotte ! Pas pressée dans ma quête, je m’en vais lui faire passer l’info que je recherche un cheval de randonnée, espérant qu’elle avait encore des contacts. Mais surtout, je sentais que je pouvais lui faire confiance sur le type de cheval que je recherchais pour cette aventure. Car elle connaissait les aptitudes nécessaires d’un cheval pour un tel voyage. Je pouvais compter sur son expérience. C’est bien chaleureusement qu’elle me répondit qu’elle me ferait signe si elle entendait parler d’un tel spécimen.
Trois semaines s’écoulent, la tête dans le boulot. Je ne prends pas plus le temps de regarder les petites annonces même si j’aimerais avoir le cheval avant l’hiver pour commencer à construire une relation en amont du voyage. Jusqu’à ce midi, où Charlotte vient me voir, me prenant le bras, me fixant avec ses grands yeux bleus et un large sourire : « Estelle, il faut qu’on discute, je t’ai trouvé ton cheval !». Mon cœur s’est mis à palpiter et nous étions comme deux gamines qui devaient s’échanger l’indication du siècle qui mène au trésor ! Charlotte ajoute : « Enfin, il faut qu’il te plaise ! Mais je pense qu’il ne peut que faire l’affaire ! ». En vérité, ce petit cheval, porteur, 11 ans, hongre, pieds-nus, calme, passe-partout et joueur, faisait partie de sa harde de chevaux lorsqu’elle avait son entreprise. Elle le connaissait très bien, et ça, c’était un point très positif en plus de tous les critères qui, sur le papier, semblaient correspondre à mes recherches : le physique, l’âge, le sexe, le mental, le prix. C’était déjà l’idéal et en plus, j’avais les moyens de connaître le passé du cheval et la manière dont il avait été manipulé. Honnêtement ? On ne peut pas rêver mieux pour une première proposition. J’étais sur les fesses ! Enfin, sur un banc. Mais le sourire jusqu’aux deux oreilles. Heureusement, Charlotte (qui était quasiment dans le même état que moi), me dit « mais il faut que tu le vois, peut-être que le courant ne passera pas... enfin, il n’y a pas de raison ! Mais je ne veux pas influencer ton avis ! ». Elle avait raison, il fallait que je reste objective. Parce que lorsque l’on est dans la recherche d’un compagnon à 4 pattes, on est dans un état similaire à un électron libre. Cela déclenche quelque chose, une euphorie de la rencontre, de la relation et de l’aventure à partager.
Elle m’explique alors que lorsqu’elle a mis fin à son activité, elle n’a malheureusement pas pu garder tous ses chevaux. Elle a pu en vendre à ses anciens cavaliers, dont celui-ci. Elle l’avait vendu à Nathalie, mais qui l’avait prévenue qu’elle ne pourrait peut-être pas le garder toute sa vie du point de vue de l’évolution de sa santé. En cette fin d’été, ce jour est arrivé, Nathalie a pris la décision de se séparer de son compagnon. Mais pour aller à leur rencontre, une petite distance nous séparait … 550 km ! Malgré tout, il s’avère que nos dates de congés tombaient à peu près en même temps avec Charlotte : début Octobre. Et elle avait prévu d’aller justement à Bordeaux, non loin de chez Nathalie. PAR-FAIT. Après quelques échanges téléphoniques avec Nathalie, nous avons pu nous présenter mutuellement ainsi que convenir d’une date pour nous rencontrer et d’un hébergement : elle m’a généreusement accordée son toit pour les 3 jours passés sur place. Tout se présente d’une manière simple. La mouvance est si fluide !
Nous sommes le 1er Octobre et avec Charlotte nous sommes en route vers l’Ouest de la France. Nous arrivons en fin d’après-midi chez Nathalie et nous ne mettons pas longtemps à nous rendre à la pâture pour me présenter « la bête ». Je garde en tête mon objectivité, les critères à observer. Nous entrons dans le pré, le cheval est assez surpris de recevoir autant de visite, et n’hésite pas à le faire savoir. On entre dans son territoire – il entre alors dans notre espace vital. Charlotte le prend en licol pour le faire marcher au pas, au trot, le faire tourner, et même lui rappeler les distances de respect. C’est un beau cheval, de longs crins noirs, une robe dorée, pas trop grand – environ 1m55 au garrot, mais je m’attendais à voir un cheval plus trapu, il est assez élancé sur ces jambes ce qui lui donne d’ailleurs fière allure. Il n’est pas trop musclé, mais ça ne m’inquiète pas trop, ça se travaille. Il a des aplombs qui tournent légèrement vers l’intérieur, que l’on dit « cagneux ». C’est un petit défaut qu’il faut considérer car la corne de ses pieds ne s’use pas de manière uniforme. Son attitude irrespectueuse vis-à-vis de l’humain refroidit quelque peu mes ardeurs : le travail pour ancrer cette notion de respect me semble de longue haleine.

Nous rentrons à la maison, Charlotte nous quitte pour la soirée et reviendra demain. Nathalie me présente les lieux, ma chambre, le fonctionnement des écuries… etc. Sa maison qui borde les vignobles bordelais est typique du coin et magnifique. Elle m’offre peut-être un logis pour ces quelques jours, mais pour moi c’est beaucoup plus que ça : le cadre est si paisible et beau que je me sens réellement en vacances. Du calme dont j’avais vraiment besoin après les semaines estivales aux champs plutôt intenses. Nous prenons le repas puis nous discutons un long moment. Nathalie travaille le lendemain mais me permet de monter Ulysse comme bon me semble même si Charlotte ne vient que l’après-midi. Nous visualisons alors quelques chemins sur une carte que je peux emprunter pour essayer de monter seule, voir le comportement de l’animal quand il n’est pas en contact avec d’autres chevaux. Elle me prévient tout de même qu’il n’a pas été séparé de son compagnon de pré depuis au moins un an. Ce qui pourrait éveiller quelques réactions bien que son cheval soit généralement calme. Nous nous souhaitons alors bonne nuit, et je la remercie pour tous ses bons conseils. Après ma toilette, je rumine la fin de journée, le comportement de ce cheval m’inquiète. Je tombe de fatigue après une petite lecture…

Au petit matin, je me fais réveiller par une pie qui toque au carreau de ma chambre ! Quelle surprise ! La nature vient à mon chevet et m’invite à savourer la journée ensoleillée. Je me lève alors tranquillement, profite de la vue sur les vignobles, puis observe le jardin de la maison par l’autre fenêtre de ma chambre. Une harmonie règne ici, entre les arbres fruitiers, l’herbe fournie, les vieilles pierres de la bâtisse, les volets bleus, la petite écurie. Tout semble à sa place et je peux savourer avec plénitude ce décor reposant. Je m’habille en repensant à tous les critères que je devais « checker » lors de l’essai. J’avais l’opportunité d’essayer seule, sans présence autour de moi, un cheval qui m’était inconnu. On m’avait offert cette chance de pouvoir faire tout ceci dans un silence m’invitant à garder mon objectivité.
Me voilà en route vers le pré. Le cheval vient facilement à ma rencontre, je peux lui mettre le licol sans contrainte. En le sortant, et avec les conseils de Nathalie, je me méfie qu’il ne me marche pas dessus. C’est un cheval qui teste constamment les limites. Son compagnon de pré hennit quelques fois pour exprimer son mécontentement. Nous arrivons tranquillement à l’écurie quelques centaines de mètres plus loin. Le cheval reste relativement calme. Je ne sais pas trop comment lui parler, et surtout si je dois lui parler. Je le calme à la voix lorsqu’il s’agite un peu pour appeler son copain. Mais je ne me sens pas à l’aise à lui parler, je ne le sens pas réceptif à ma voix. Il m’accepte sans me considérer. Je l’inspecte sous tous les angles, observe son comportement au pansage, lorsque je passe vers des endroits chatouilleux, mais aussi lorsque je le selle et lui met le mors. Je me rends compte qu’il a un dos large, pas très long mais assez large et des pieds larges, choses que je n’avais pas aperçues la veille. Il a donc de belles capacités pour être porteur malgré son allure légère. Il reste très stoïque, il semble « bien dans sa tête ».

Je l’emmène alors dans le pré juste à côté de l’écurie, en fermant la clôture, en guise de barrière de sécurité si je tombe. Au montoir il s’avère un peu agacé. Je mets ça sur le dos de la séparation d’avec son compagnon. En selle ! Il a un bon pas, très confortable. Idem pour le trot. La direction n’est pas parfaite, mais quelques heures de travail sur cette question lui suffiraient pour comprendre le dialogue entre mes demandes et ses réponses. Je lui demande le galop, il secoue la tête, comme s’il avait envie de jouer. Ça me fait rire ! Il ne fait pas ça de manière violente, il ne cherche pas à me faire chutter.

Plutôt confiante, je prends alors la décision de partir en balade une petite heure. Il n’a peur de rien, certes il connait le coin, mais il n’est pas du tout surpris par des papiers qui traînent, s’envolent et polluent la campagne. Dans un chemin où nous trottons, il prend de lui-même le galop. Ça me fait plaisir, car Charlotte et Nathalie m’ont prévenue que ce n’était pas son allure préférée. Il a l’air heureux et ce brin de vitesse nez au vent me donne des frissons. Ça faisait longtemps que je n’avais pas ressenti cette liberté. Ça me fait du bien ! Nous repassons au pas et je le remercie pour ces émotions. Nous rentrons tranquillement.
Je le dé-selle, le brosse et le fait brouter en longe dans le pré. J’ai fait le tour de mes critères objectifs. Je me laisse alors un temps pour une analyse plus subjective : il a vraiment une chouette bouille ce petit cheval quand même ! Je prends alors un moment pour appeler ma mère. Elle aussi fait de l’équitation et surtout de la randonnée. Elle sait quels sont les critères nécessaires à un cheval de randonnée. Je lui avais d’ailleurs envoyé ma liste. J’ai besoin de partager mon essai pour mieux aiguiser mon point de vue. Elle décroche. Très émoustillée, je lui raconte la matinée et lui partage qu’il rentre dans pas mal de cases, qu’il a un chouette tempérament, mais qu’il y a trois points qui me font « tiquer » : ses aplombs, son comportement à pied et sa musculature. Avec son recul, elle me rassure en me disant que le comportement et la musculature ça se travaille, surtout si je peux l’avoir avec moi tout l’hiver. Et que pour les aplombs, ce sont surtout une attention plus importante à porter sur l’usure de sa corne. Elle n’hésite pas à me faire mettre en évidence le mental de ce cheval : « Tu sais de nos jours, c’est compliqué de trouver des chevaux qui ont confiance en eux, surtout à ce prix ! ». Cet appel me réconforte mais me tente de plus en plus à me dire que c’est une perle rare ce cheval ! L’après-midi, nous partons en balade avec Charlotte qui monte le compagnon de pré de ma monture (elle le connaissait aussi de son activité professionnelle précédente). J’ai pu voir son comportement en balade à plusieurs mais aussi ses réactions face à davantage de situations : ruisseau, cailloux, village, containers, camion, tracteur. Il m’étonne, il ne réagit jamais par la peur, il s’arrête, observe avant de prendre la décision d’avancer. Il est également très curieux. Il a clairement le mental du cheval de randonnée que je recherche ! En fin d’après-midi je rappelle ma mère, je lui confie que ça me semble être le bon.
Nathalie rentre en fin de journée, je lui avais promis que je leur préparerais le repas à elle et son mari pour les remercier de leur accueil. Nous avons cuisiné ensemble et échangé autour de sujets enrichissants, alors que nous nous connaissions depuis… 2 jours ! Après le repas, je fais part de mon intérêt pour son cheval. Je sens que pour elle la décision est lourde, car elle y est très attachée, qu’il fait partie de la famille. Je ne peux la forcer. Malgré tout elle me confie que sa décision est prise. Sa santé ne lui permettra bientôt plus d’en faire autant pour le soin des chevaux. Elle me confie également qu’elle sent que son cheval doit vivre quelque chose, une aventure. Elle ne veut pas qu’il finisse dans un centre équestre à tourner en rond. Je note ceci dans un coin de ma tête, car Charlotte m’avait aussi dit que ce cheval avait besoin de vivre quelque chose. Moi, ça me convient ! Parce que c’est ce que je cherche, le cheval qui a le goût du voyage !
Je souhaite bonne nuit à Nathalie et son mari, en les remerciant du fond du cœur pour leur hospitalité et la confiance qu’ils m’ont accordée. Je les en remercie toujours d’ailleurs ! Je ne les ai pas revus le lendemain matin, mais leur gentillesse me gagne à chaque fois que je repense à leurs visages. A 23h30, j’appelle ma mère : « Tu ne dors pas ? Bon ça y est, les papiers sont signés ! ». Je témoigne de ce même enthousiasme à mon compagnon par téléphone. J’étais partagée entre l’euphorie et le sentiment triste de séparer Nathalie de son cheval. Mais je n’en revenais pas. J’avais trouvé le cheval qui me permettrait de réaliser ma quête. Et en plus, il s’appelait Ulysse ! Le comble !
J’ai organisé son rapatriement jusque dans la Drôme en accord avec Nathalie. J’ai préféré opter pour un transporteur qui a ramené Ulysse jusqu’à la ferme début Novembre. Pas chamboulé de faire 8h de route avec une nuit de halte, Ulysse est arrivé au terminus sans une goutte de sueur ni d’inquiétude. Il m’épatait encore.

Souvenir : Ulysse qui commande un repas au cuisto de la ferme
En décembre nous avons quitté la Drôme pour passer l’hiver chez mes parents en Bourgogne. Ici, nous avons pu prendre le temps d’apprendre à nous connaître, de travailler sur notre relation, sur le respect, sur son entraînement physique… etc. Chaque jour notre complicité grandit. Aujourd’hui, après 6 mois de vie quasi-commune, les efforts ont payé. Même si le confinement repousse notre départ, je ne regrette pas ce temps que l’on a pu prendre pour nous lier davantage. D’ailleurs cette période a été un tournant dans ma capacité à comprendre son langage. Aujourd’hui je me sens complètement reliée à lui dans n’importe quelle situation. Je nous sens réellement prêts à réaliser ce voyage ensemble.

NB : Encore merci à Charlotte, Nathalie, la Ferme des Volonteux et mes parents, sans qui rien n’aurait été possible !
Hello ! Merci ! Je suis dans le flou complet, un peu comme tout le monde. J’attendais les nouvelles d’hier pour mieux me projeter mais finalement ça ne fait que prolonger les doutes. Il faut absolument que je trouve un contrat pour pouvoir obtenir une dérogation pour faire + de 100 km. J’aurais peut-être pas du quitter la Drôme finalement ..! Haha ! Suite des infos la semaine prochaine ! Bises à bientôt
Cool la petite histoire ! Tu pars quand concrètement ?
Ici il pleut enfin... Ça va faire pousser l'herbe pour Ulysse !
Bises Ludo